Parenthèse à rotor

Le voyage dura un certain temps. De là où elle se trouvait, Xia ne voyait que le ciel, et ne pouvait donc pas se situer. Le pilote, concentré, ne parlait pas, et seul le bruit assourdissant du moteur osait s'exprimer. Après deux ou trois heures de vol, la jeune femme se sentit descendre. L'hélicoptère se posa dans une base très similaire à celle qu'il venait de quitter. Le pilote détacha Xia et lui demanda de descendre. Devant l'hélicoptère se trouvait une jeep de transport dans laquelle attendaient déjà six hommes dont l'équipement était exactement le même que celui de ceux qui avaient réalisé la prise d'otages.

Une fois descendue, Xia était dans l'incapacité de déterminer l'endroit où elle se trouvait. Pas un morceau de montagne, de mer ou de plaine ne pouvaient l'aider à se situer actuellement, que dalle.
Elle était contente d'être descendue, la métisse commençait à avoir les jambes engourdies par l'attente et sa position quasi immobile pendant tout le temps du trajet. Elle se demandait ce qui allait advenir d'elle et ce qu'ils avaient l'intention de faire ...

Xia monta à l'arrière de la jeep, avec les six hommes armés. Elle fut installée au fond, près du chauffeur, dos à lui. Le pilote de l'hélicoptère entra dans un bâtiment, et ressortit quelques minutes plus tard, et s'assit au volant. Il démarra. La jeep finit par s'arrêter en haut d'une petite colline à proximité de la base, et le pilote coupa le contact.

"Où se trouve le village d'où tu viens ?" demanda le pilote à la jeune femme, en la regardant dans le rétroviseur.

Xia écarquilla les yeux. Avait-elle fait tout ce trajet pour se retrouver à nouveau en Croatie ?!

"Imotski, c'est à une heure de Split et à limite de la frontière bosniaque" se contenta-t-elle de répondre, un air dégoûté sur son visage. Si son père savait qu'un autre réseau était au courant de leur existence, il allait, sans aucun doute, lui passer un savon mémorable ...

Le pilote se retourna, et brandit un large GPS militaire sur lequel état représentée la zone mentionnée.

"Où ? Touchez simplement l'écran."

Xia fut tentée de toucher la zone la plus éloignée possible, pour ensuite s'enfuir par un quelconque moyen mais c'était une trop mauvaise idée pour être appliquée.
Elle n'avait pas une arme, elle se sentait crevée, son estomac commençait à gargouiller à cause du fait qu'elle avait rien avalé depuis environ trois jours.
Finalement, elle toucha l'endroit précis où se trouvait son lieu d'habitation. Aussi bien, avec un peu de chance, son père ne serait pas énervé contre elle ou cela serait un de ses compagnons d'armes qui se chargerait de l'accueillir. Enfin, elle priait pour que cela soit le cas ...
Parce que bon, à vrai dire, entendre son père lui hurler dessus pendant quinze minutes était pire que de se faire violer deux fois à la suite et de ne rien manger pendant une semaine. Oui, oui !

"Merci." lâcha le pilote. Il examina la carte quelques secondes, puis démarra en trombe. Ses qualités de pilote étaient exceptionnelles, il naviguait à plus de soixante dix kilomètres heures sur des chemins de forêts moins larges que le véhicule. Sans un accroc. Lorsque le véhicule s'approcha du village, il ralentit et s'arrêta à cent mètres de l'entrée. Il donna une consigne codée au commando à l'arrière, et pria Xia de descendre. Il l'amena jusqu'aux portes du village, où un comité d'accueil lourdement armé les attendait.

Xia scruta les personnes se trouvant ici. Elle voyait des nouvelles têtes ... Mais parmi ces petits nouveaux se trouvait une personne plus que familière, cheveux noirs jais et yeux de la même couleur, bridés; qui fut sur le point de les accueillir sur un ton glacial mais se ravisa à la dernière minute.

- ... Xia ? Mais ... Qu'est ce que tu fous ici, mec ?! T'es pas sensée être en mission ?! s'exclama-t-il en abaissant son arme.
- Amène moi à la base, s'il te plaît.
- Et qui sont ces types ? finit-il par demander en chinois, observant l'homme derrière la jeune femme d'un air méfiant.
- Contente-toi de la fermer et laisse moi entrer dans le village, bordel de merde, répondit-elle dans la même langue, le regard noir.

Face à l'ordre sec de son amie, le chinois ordonna aux autres de les laisser passer et de les laisser entrer dans Imotski même.

Le pilote appela, et l'un des six hommes descendit de la jeep et vint le rejoindre. Ils pénétrèrent ensemble, accompagnés de Xia, dans le village fortifié. "Nous voulons voir le chef de cette organisation déclara le pilote."

Xia hocha la tête et s'avança au devant, l'air confiant. Certains tournèrent la tête vers la jeune femme, une expression de stupeur marquée sur le visage en observant ses vêtements sales et tachetés, ses chaussures abimées par la terre et les heures de marche et ses cheveux gras. Un sourire plein d'ironie s'étira sur les lèvres de la métisse ... Il était de la coutume de la voir plutôt négligée au village mais dans un tel état ... Des murmures vinrent à elle, des paroles qui annonçaient le retour de celle qu'on appelait "l'androgyne", "la femme homme", "le garçon manqué" ou un petit plus péjoratif, "la goudou", même si elle ne l'était pas.

Les chinois composaient environ 30% de la population d'Imotski, village d'environ 3000 habitants. Ils avaient la chance d'être apprécié ici car c'était généralement eux qui se chargeaient de protéger le village et ses habitants. Qui plus est, ils cuisinaient bien donc les Croates et autres nationalités qui composaient le village en profitaient !

La jeune femme poursuivit son chemin jusqu'à un bâtiment d'environ trois étages, un des rares qui restait un héritage du siècle passé. Arrivée devant, elle composa trois codes d'accès pour déverrouiller la porte qui permettait d'accéder au bâtiment et y entra, suivi par les hommes. Entrée à l'intérieur, une figure bien familière l’accueilli. Un jeune homme qu'elle connaissait trop bien, vêtu de treillis, une arme à la main, les cheveux noirs jais en bataille, les yeux la scrutant d'un regard interrogatif et qui finirent par s'écarquiller en reconnaissant les traits asiatiques mélangés à ceux européens.

- Xia ? Qu'est ce que tu ... fais là ? interrogea-t-il en chinois, un air méfiant à l'égard des hommes derrière elle. Ne me dis pas que t'as déjà fini ta mission.
- Longue histoire, Geng. Je veux voir Ba, s'il te plaît ...
- Il est dans son bureau. Mais je ne pense pas qu'il t'attendes à te voir ... Je t'accompagnes ?
- Non, ça ira ...

Le dénommé Geng la laissa passer, jetant un regard noir aux rebelles.
Xia emprunta l'ascenseur lui permettant d'accéder au dernier étage, celui du bureau de son père. Arrivée, elle se dirigea vers une grande porte en bois, où était gravé un "中国", le nom de son pays, des siens et de son organisation en chinois. Elle frappa deux fois.

- Entrez, ordonna une voix familière à l'intérieur de la pièce.

Et Xia entra, se mordant la lèvre inférieure. Son père était là, assis à son bureau.

Le pilote et le chef dépassèrent Xia et se présentèrent devant le bureau. Ils ôtèrent leurs casques à visières, découvrant ainsi leurs visages.

"Bonjour. Nous sommes des représentants du groupe de rebelle connu sous le nom de 4ème génération. Présente sur les lieux d'une prise d'otages, nous avons capturé cette jeune femme. Elle prétend faire partie d'un groupe de rebelles autonome de cette région, et nous a conduit à vous - plus de force que de gré. Pouvez vous certifier être un groupement rebelle, et si oui, fait-elle partie de vos rangs ?"

[Xia je te laisse répondre avec ton père]

Les yeux du père de Xia s'étaient brusquement écarquillés et s'étaient levés vers ses interlocuteurs. En effet, ce dernier avait le nez penché sur ses dossiers et s'attendait à voir plutôt une autre de ses recrues que sa fille, et surtout, il ne pensait pas tomber sur des rebelles de la 4ème génération alors qu'il préparait tout juste une nouvelle attaque pour un réseau se trouvant à Zagreb.

Il laissa l'occasion aux européens de voir son visage. C'était un asiatique âgé d'un peu moins de la quarantaine. Grand, une silhouette fine qui cachait une musculature qui semblait quand même imposante, il avait comme sa fille des traits légèrement androgynes mais nettement moins prononcés, une masse de cheveux noirs et des yeux parfaitement bridés, ne laissant percevoir qu'une teinte d'un noir profond. Ses mains et son visage étaient marqués par quelques cicatrices.

Il jeta un vague regard à sa fille. Comme d'habitude, elle était négligée et ses yeux étaient rivés au sol. Il tourna à nouveau son regard vers ses interlocuteurs, sans laisser voir une seule émotion et répondit dans un Nu Ùropeì parfaitement bien maîtrisé, accompagné cependant d'un petit accent que sa fille avait la chance de ne pas avoir :

- En effet, nous sommes un groupement de rebelles, le ZhongGuo, et moi, GuiXian Cao est le chef de l'organisation Imotski-Split. Il existe un autre groupement à Zadar et à Zagreb, et également à la frontière slovène et serbe. Cette jeune fille fait bel et bien partie de mes rangs, c'est la seule ayant la chance de faire parti de l'élite de mes rebelles. C'est ma fille. Mais bon, elle ne mérite pas justement ce titre puisqu'elle est dans l'incapacité d'accomplir une mission sans se faire remarquer.

Il avait fini d'un ton froid, regardant sa fille d'un œil noir. Xia soupira, les yeux rivés sur ses chaussures et ses joues rougissant par la honte.

"Nous l'avons capturé avec un tueur professionnel en fin de formation des services spéciaux du Matal Tropsk. Si cela vous intéresse, nous pourrions la remettre en cellule avec lui et organiser une fausse évasion qui leur permettrait de se rapprocher, voir pour Xia d'être agent double. De plus, mon supérieur propose des alliances avec tous les mouvements rebelles régionaux, vous faites donc partie de la liste. Si vous désirez un temps de réflexion, nous reviendrons dans deux jours. AVez vous d'autres questions ?"

L'homme en treillis vert menait la conversation presque comme un interrogatoire. Il semblait certain de la supériorité de son organisation, sans pour autant négliger l'atout que pouvait représenter ces rebelles de leur côté de la balance.

- Hum ... Je vais en discuter avec mes confrères, je vous donne une réponse d'ici demain. Personnellement, je serais d'accord pour former une alliance mais autant proposer à mes collègues de Zadar, Zagreb, Rijeka et Vukovar aussi, l'alliance en serait d'autant plus puissante. Je vais préparer une réunion pour ce soir. Et je pense que ma fille ne serait loin de s'opposer à ce plan, n'est-ce pas Xia ?

La concernée leva les yeux, le visage rosé et elle hocha la tête. Un sourire s'étira sur les lèvres de GuiXian.

- Eh bien c'est parfait ... Qui plus est, ma fille n'aura pas de difficultés à s'infiltrer au sein du Matal Tropsk, étant donné que cette bande de salopards ne savent même pas faire la différence entre un garçon et une androgyne. La seule faveur que j'aurais à vous demander en échange de cela serait de lui donner de quoi manger et à boire pour survivre et éventuellement lui donner l'occasion de se laver, c'est tout.

"Elle recevra les soins réservés aux prisonniers normaux. Nous ne sommes pas inhumains, mais ils restent des prisonniers. Une fois qu'elle sera relâchée, elle se débrouillera seule au dehors, les seuls appuies que nous lui fourniront seront des renseignements utiles pour son infiltration. Toute autre action ayant une probabilité de compromettre la couverture, nous n'en ferons rien. Nous reviendrons demain, et gardons Xia avec nous tant que vous ne nous aurez pas donné de réponse. Au revoir."

Ils repartirent vers la jeep, qui elle-même revint à la base à la nuit tombée.

Durant le trajet, Xia regarda dehors, une expression pleine de tristesse sur son visage.

Elle était sensée être contente de la mission confiée et de l'alliance qui allait se faire, puisque leur puissance allait augmenter et que cela pouvait aboutir à des résultats plus que satisfaisants. Surtout, ses capacités allaient se développer, sans doute sera-t-elle plus forte ... Mais une forme de chagrin l'envahissait, un chagrin dont elle ne voulait faire part à personne ...

Était-ce ça, un père ? Ou du moins, un père aimant ? Parfois, la métisse se posait la question mais tentait d'oublier.
Rares étaient les fois où son paternel avait eu une marque d'affection à son égard, si ce n'est que de la fierté et quelques compliments à son égard. Sa fierté ... Celle d'avoir transformé sa fille en une véritable androgyne, capable de résister au froid, à toutes les blessures psychologiques même les plus profondes en gardant le sourire, capable de tuer sans l'ombre d'un remord, un garçon manqué au patriotisme profond, à la fierté d'être à moitié chinoise alors qu'elle n'a jamais eu l'occasion de visiter son pays, les villes importantes à son patrimoine familial, celles de Wuhan et de Taipei.

Un père normal force-t-il sa fille à se travestir aux yeux des gens ? Est-ce qu'il conseille à sa fille d'abandonner toute sa fierté juste par instinct de survie ou par simple patriotisme ? Est-ce qu'il la laisse affronter les pires galères juste pour la "rendre plus forte" ?

"Ton père agit ainsi car il veut que tu résistes à tout dans la vie. Il veut que tu sois puissante, que tu te fasses respecter de tous ... Je suis contre certaines de ses pratiques, mais il fait ça pour ton bien, j'en suis certaine" confia alors sa mère pendant son adolescence, tout en soignant des blessures qu'elle s'était faite pendant un bombardement qui avait ravagé Split, alors qu'elle était en mission.

Sa mère ... Tout le contraire de son père, pensa-t-elle amèrement. Souvent sur-protectrice, naïve, fragilisée par son départ soudain de sa patrie lorsqu'elle en fut exilée pour ne plus jamais y revenir ... Mais cependant douce et gentille. Une vraie mère.

Le lendemain, le pilote reparti seul. Xia n'était pas logé dans une cellule, mais dans un dortoir inoccupé pour le moment. Elle partagea le repas des soldats, à la cantine, le soir. Le service était libre. La journée, on lui demanda de ne pas sortir de la base. Elle put assister à l'entrainement des troupes, qui alternait conditionnement physique, sessions d'exercices mentaux, et mises en pratiques dans la forêt proche. De nouveau, le ciel tombait sur l'horizon, et la jeep revint. Le retour vers l'autre base se fit sans histoire, et sans différence, sinon qu'elle était assise dans le cockpit de l'appareil. À son arrivée, elle fut accueillie par le chauve, qui la pris à part dans son bureau.

"Tu vas retourner à l'état de prisonnier. Je vais d'administrer quelques coups mesurés au visages, ce ne sera pas douloureux, et tu auras quelques bleus bien visibles. Tu diras à tes vecteurs que tu as servi de garage à toute la garnison, c'est un méfait qui enrage facilement les gens qui cherchent quelque chose à reprocher aux autres. Tu effectueras la mission que t'as donnée ton père normalement, mais tu pourras nous appeler en cas d'urgence grâce à cet émetteur."

Il lui tendit une puce de moins d'un millimètre de long, et guère plus de large.

"Nous allons te l'implanter sur la partie intérieure du bras gauche, si tu veux t'en séparer, une légère incision sera suffisante, et pour l'activer, il faudra donner dix coups rapides avec ton index, puis réitérer l'opération exactement trois secondes plus tard. Des questions ?"

Elle se contenta de hocher la tête, et de répondre par un simple :

- Non. Je pense que cela sera suffisant.

Il saisit une grosse seringue métallique au bout de laquelle il posa la puce, en dessous d'une minuscule lame. Après application d'un désinfectant sur son bras, il y plaça la puce, superficiellement. L'ouverture ne saigna même pas.

"Ne la perdez pas bêtement." Conseilla l'homme.

Il saisit ensuite délicatement le menton de la jeune femme et lui appliqua quelques coups modérés sur la pommette gauche, et quelques autres sur le front. C'était loin d'être agréable, mais tout aussi loin d'être insurmontable.

Il l'amena jusque devant la porte qui menait à la section pénitentiaire.


[Topic terminé]